Sergio Moro, le célèbre juge du lawfare est en déclin
Sergio Moro, le célèbre juge responsable de la peine qui a conduit l’ancien président Lula en prison pendant 580 jours, joue sa crédibilité. Le 25 août, la Cour suprême du Brésil a annulé pour la première fois une condamnation qui avait été prononcée par l’ancien juge Sérgio Moro. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un procès Lula ou Lava Jato, la décision radicale d’annuler le procès, qui a impliqué la banque Banestado, représente une réponse aux abus concernant les procédures d’inculpations et l’utilisation de preuves sans respect de l’équilibre entre contradicteur et l’ensemble de la défense.
Compte tenu de l’attente d’innombrables autres accusés et justiciables face à la forme scandaleuse avec laquelle le juge de Curitiba et les procureurs ont agi dans le contexte de Lava Jato, faussant la procédure régulière à chacune de ses phases, nous pouvons tirer au moins trois conclusions regrettables quant à au déroulement de lutte contre la corruption au Brésil :
1/ l’opération Lava Jato, sous l’autorité de Sérgio Moro, a été une grande perte pour l’opportunité historique de lutter contre la corruption juridique;
2/ le Lava Jato, sous le commandement de Sérgio Moro, a poursuivi, jugé et condamné des innocents, provoquant ainsi d’innombrables conséquences dans les projets de vie et dans l’histoire personnelle des divers accusés;
3/ la troisième grande conclusion se découvre petit à petit et avec des révélations de plus en plus scandaleuses: un immense réseau de collaborations internationales qui passait par les principales entreprises et secteurs stratégiques du Brésil, a été utilisé pour écarter des forces politiques, des dirigeants et un projet de développement national.
Et ceci est une alerte : cette affaire va au-delà du Brésil. Les systèmes étatiques souverains des pays d’Amérique Latine ne peuvent pas le négliger car la manoeuvre repose essentiellement sur l’application de traités bilatéraux de lutte contre la corruption, par des systèmes informels de collaboration entre la police fédérale, les autorités fiscales et des entités d’autres pays dans des structures de lutte contre le crime organisé, armes, drogues, trafics de toutes sortes, ainsi que de la prévention du terrorisme.
Au Brésil, outre la vulnérabilité inhérente à ces systèmes intégrés de collaboration transnationale, il y a eu probablement une infraction commise par des agents publics. Les enquêteurs du Lava Jato ont subrepticement violé les traités internationaux. On sait peu de choses sur cet énorme iceberg caché, mais ce n’est un secret pour personne que Sergio Moro a agi en collusion avec les enquêteurs, et s’est ainsi transformé en un juge inquisitorial qui se rendait fréquemment aux États-Unis pour rencontrer des organismes publics et privés voués à utiliser la lutte contre la corruption. Ce n’est pas un secret non plus que les États-Unis considèrent la lutte contre la corruption comme un atout stratégique pour leur expansion politique et économique, une opportunité pour appliquer une juridiction extraterritoriale.
L’un des faits les plus graves révélés par le site Internet The Intercept Brasil et par l’Agence Publique concerne la collaboration illégale des membres du MPF (Ministère Public Fédéral) de Curitiba avec des agents du FBI et du ministère de la Justice des États-Unis (DOJ) à partir des années 2015, comportant une violation flagrante de l’accord du traité d’entraide judiciaire (MLAT) en matière pénale en violation de l’accord bilatéral de collaboration en matière pénale.
En bref, le MPF de Curitiba a usurpé la compétence du ministère de la Justice dans la coordination de ladite coopération internationale, en collaborant effectivement à la marche des enquêtes. Ces enquêtes qui, en amont, sont le résultat d’accords sur des aveux de corruption et sur le déclenchement de mécanismes de juridiction extraterritoriale.
Le sentiment d’impunité était tel que le chef des enquêteurs, Deltan Dallagnol, a créé une fondation privée scandaleuse pour gérer 2,5 milliards de reais, argent destiné à l’accord de recouvrement d’avoirs inclus dans l’accord de clémence entre la justice américaine et Petrobras.
Le jour approche où l’habeas corpus pour l’annulation des poursuites contre Lula sera jugé, cela pourrait être cette année. L’académie de droit, dans une enquête récente impliquant les plus grands centres de recherche en droit du pays, est d’accord: 97,8% des professeurs de droit consultés dans la base de l’échantillon, y compris les principales universités du Brésil, considèrent que Sérgio Moro était absolument partial dans les procès contre Lula.
La Cour suprême a la possibilité de rendre justice, quoique tardivement, et de restaurer la crédibilité de la justice elle-même, qui est aujourd’hui synonyme de collusion avec l’utilisation politique du droit.
Sergio Moro est déjà connu internationalement comme un artisan expert du droit, de l’utilisation du droit pour déstabiliser les opposants politiques. Ce qu’il a fait lorsqu’il était juge et aussi lorsqu’il était ministre de la Justice de Jair Bolsonaro, avec qui il vient de rompre les relations.
Aujourd’hui, il est écarté du pouvoir, mais apparemment il se prépare à être le candidat à la présidence de Rede Globo de Comunicações en 2022. Mais sa réputation est clairement en déclin car le Lava Jato n’est plus en mesure de cacher les illégalités qu’il a commises, et aussi parce que les les effets économiques de l’opération contre les entreprises de construction civile brésiliennes et les secteurs stratégiques du pétrole, du gaz et de l’électricité sont imprévisibles.
Puisse le Brésil servir d’avertissement à toute l’Amérique latine sur le caractère pernicieux du pouvoir judiciaire lorsqu’il rompt avec les garanties juridiques, la Constitution et en particulier la souveraineté nationale.
Carol Proner est avocate, professeure de droit international et membre de l’ABJD – Association brésilienne des avocats pour la démocratie.
Edition: Rodrigo Chagas | Brasil de Fato |Traduit par Francis Gast.