6 août 2018

Lula, souvent qualifié (pour son plus grand plaisir) de Nelson Mandela du Brésil, deviendra-t-il ce week-end un candidat détenu, symbole de l’arbitraire de la justice de son pays ? La convention électorale du Parti des travailleurs (PT), que l’ancien président (2003-2011) a cofondé en 1980, approuvera, sauf énorme surprise, la candidature de l’ancien métallo, âgé de 72 ans, pour l’élection présidentielle des 7 et 28 octobre. Même s’il est actuellement incarcéré.

Lula, qui avait déjà connu la prison lors de brefs passages dans les années 70 sous la dictature militaire, quand il commençait son activité de syndicaliste dans l’industrie automobile de São Paulo, s’est rendu le 7 avril à la justice. Qui l’a condamné en deuxième instance à douze ans et un mois de prison, pour corruption passive et blanchiment d’argent, dans le cadre de l’enquête tentaculaire baptisée Lava Jato («lavage express»), instruite par le juge Sergio Moro. Depuis, il purge sa peine à Curitiba, dans le sud du Brésil, où lui est interdite toute prise de position orale : il ne peut s’exprimer que par écrit.

Intransigeance
Derrière les barreaux, sera-t-il en mesure de participer à la bataille présidentielle ? La loi dite du «casier propre», votée en 2010, sous sa présidence, l’en empêche en principe : elle stipule que toute personne condamnée ne peut se présenter à une élection pendant huit ans. Mais les équipes juridiques du PT cherchent la faille qui pourrait exclure Lula du champ de la loi. La décision revient au Tribunal supérieur électoral, qui se prononcera après le 15 août, date butoir pour la présentation des candidatures. Peu d’observateurs pensent que Lula pourra finalement s’aligner. Pour cela, il faudrait que des recours bloquent son invalidation jusqu’au 7 octobre.

Pour justifier son intransigeance, le Parti des travailleurs insiste sur le caractère arbitraire de la condamnation. Lula est accusé d’avoir accepté un appartement en bord de mer offert par le groupe de travaux publics OAS comme pot-de-vin pour son intervention dans l’attribution de marchés publics de la compagnie nationale des hydrocarbures Petrobras. Ce qu’il nie avec énergie. L’accusation n’a fourni aucun élément matériel établissant que l’appartement était la propriété de l’ancien président, élément qui n’est étayé que par un unique témoignage, celui d’un ancien dirigeant d’OAS, lui-même poursuivi.

Le procès et l’application de la condamnation ont eu lieu en un temps record, pour une justice brésilienne peu habituée à tant de diligence. C’est la preuve, selon le PT, que les juges liés aux milieux affairistes ont accéléré la cadence pour empêcher Lula de briguer un nouveau mandat, deux ans après la destitution contestée de la présidente Dilma Rousseff, qu’il avait désignée pour lui succéder.

Persécution
Défendre coûte que coûte la candidature de Lula est pour le PT une question de fidélité. Mais c’est aussi une stratégie. D’abord, le parti de gauche, qui revendiquait 1,6 million d’adhérents en 2015, n’a personne qui puisse se porter candidat en remplacement, tant le charisme et la stature internationale de l’ancien métallo ont éclipsé tous les autres. Si Lula ne peut se présenter, un autre prétendant peut être désigné jusqu’au 17 septembre. Dans ce cas, l’ancien maire de São Paulo, Fernando Haddad, serait le favori. Mais dans les enquêtes d’opinion où il remplace Lula, il ne recueille qu’entre 2 et 12 % des voix.

Jouer la carte Lula jusqu’au bout permet également de revendiquer le statut de victime d’une persécution politique menée par une droite revancharde qui n’a jamais admis qu’un ancien ouvrier accède aux plus hautes responsabilités. Ce qui peut rejaillir positivement sur les autres scrutins célébrés aux mêmes dates, en particulier les élections des gouverneurs d’Etats. Et le suspense, entretenu au minimum jusqu’à la date limite de changement de candidat, place le PT au centre du jeu politique.

Mais ce jeu d’échecs peut aussi avoir des conséquences très néfastes pour le Brésil, en offrant un boulevard à l’extrême droite. Le candidat Jair Bolsonaro, 63 ans, un ancien militaire, est ouvertement nostalgique de la dictature des généraux (1964-1985). Partisan de la peine de mort et l’autodéfense contre la délinquance, il est aussi homophobe, raciste et antiféministe. Avec son discours antisystème qui capitalise sur le ras-le-bol provoqué par quatre ans d’enquête Lava Jato et de révélations en cascade de scandales de corruption, il frôlait fin juillet les 30 % d’intentions de vote.

 

Libération.