2 octobre 2018
People gather during a demonstration against Brazil's presidential candidate Jair Bolsonaro, in Sao Paulo, Brazil September 29, 2018. The writing on the sign reads "Barbarism for civilization, #NotHim." REUTERS/Alexandre Schneider

Les unes sont employées domestiques, de gauche et adoratrices du Parti des travailleurs (PT) et de son leader emprisonné, Luiz Inacio Lula da Silva. Les autres bourgeoises, architectes ou avocates, votent au centre droit.

Au-delà de divergences d’opinions politiques, de classes sociales, d’âge, de modes de vie et de couleur de peau, des dizaines, voire des centaines de milliers de femmes se sont rassemblées, samedi 29 septembre, à Sao Paulo, Rio de Janeiro, Brasilia, Belo Horizonte, Recife, Salvador et Porto Alegre, ainsi que dans une soixantaine de villes au Brésil pour dire #EleNao (Pas lui). Un hashtag lancé sur les réseaux sociaux par le mouvement Mulheres Unidas contro Jair Bolsonaro (les femmes unies contre Bolsonaro), opposé au candidat d’extrême droite ; ce dernier est en tête des sondages pour l’élection présidentielle avec 27 % à 28 % d’intentions de votes.

Réputé pour sa misogynie, son homophobie et ses éloges répétés de la dictature militaire (1964-1985), le militaire quittait le même jour l’hôpital Einstein de Sao Paulo où il avait été accueilli dans un état grave suite à une attaque au couteau, le 6 septembre, lors d’un meeting de campagne. « Enfin à la maison, près de ma famille. Il n’y a pas de meilleure sensation ! Merci à tous pour les marques d’affection que j’ai pu recevoir lors de mon retour et partout au Brésil ! Je vous embrasse ! », a écrit sur Twitter le candidat, visiblement insensible à ces marques d’hostilité et aux cris « EleNao » proférés dans le vol le ramenant à Rio de Janeiro où il possède une résidence.

A Sao Paulo, où Bolsonaro est très apprécié, des femmes habillées de mauve ou de tee-shirt #EleNao ou #EleNunca, mais aussi des hommes se sont rassemblés sur la place do largo da Batata. Parmi la foule, Zenilda da Silvera, 51 ans, employée domestique. « Je suis venue pour lui montrer qu’on est plus forte. Que toutes ces minorités qu’il déteste ne se laisseront pas faire ! Toute ma vie j’ai lutté. Nous les domestiques nous avons obtenu des droits grâce à Lula et au PT, on ne va pas laisser un homme nous ramener dix ans en arrière », explique-t-elle.

En 2015, sous le gouvernement PT de Dilma Rousseff, a été promulguée la loi obligeant à déclarer les employés domestiques afin de leur permettre, notamment, d’avoir droit à une retraite. Un texte que Jair Bolsonaro, alors député, avait rejeté. Selon lui, cette loi contribue à augmenter le chômage. « Plus de droits, ce sont moins d’emplois », a-t-il coutume d’expliquer.

 

Le coup d’Etat militaire, une « révolution »

Maria Domitila, architecte de 28 ans, elle, a été ulcérée par les propos du candidat sur la dictature militaire. Le membre du Parti social libéral (PSL) qui qualifie le coup d’Etat de 1964 de « révolution » avait affirmé il a quelques années que la grande erreur de la junte fut « de torturer et non de tuer ».

En 2016, lors du vote de l’« impeachment » (destitution) de Dilma Rousseff, le député avait aussi donné sa voix « au nom du colonel Ustra », l’un des tortionnaires du régime. « Mon père a été prisonnier politique ! », signale Maria Domitila, les yeux embués.

A priori apolitique, la mobilisation comptait pourtant de nombreuses banderoles appelant ici à voter Fernando Haddad, le candidat du PT, remplaçant de l’ex-président Lula, empêché de se représenter du fait de sa condamnation pour corruption, ou là pour Ciro Gomes, le candidat du Parti démocratique travailliste (PDT), de centre gauche. Le nom de Marina Silva, seule femme candidate, représentante du Parti écologiste (Rede) et ancienne ministre de Lula, était aussi scandé par un petit groupe de manifestants quand d’autres vantaient les qualités de Guilherme Boulos, le candidat du Parti socialisme et liberté (Psol, gauche)

Mais samedi les opposants à Jair Bolsonaro n’étaient pas tous de gauche. Brandissant une pancarte « les femmes en marche pour la démocratie, l’égalité et la liberté, Bolsonaro, non », Estela Duca, 59 ans, avocate, précise n’être « ni d’extrême droite, ni d’extrême gauche ». La quinquagénaire élégante a prévu de voter pour Geraldo Alckmin le candidat de centre droit du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB).

Et elle honnit, autant que les autres manifestantes, Jair Bolsonaro. « Mon fils, je l’ai élevé seule et ce n’est pas un délinquant ! », lâche-t-elle. Une référence aux propos du général Hamilton Mourao, son candidat à la vice-présidence qui a déclaré, il y a quelques jours, que les enfants élevés sans père par des mères et des grands-mères avaient toutes les chances de devenir des « éléments déséquilibrés », prompts à faire grossir les rangs des narcotrafiquants.

 

« Vous ne méritez pas d’être violée »

« Bolsonaro est le genre de personnage classique de ces pays qui ont vécu leur propre version du Far West : un homme blanc qui se sent supérieur parce qu’il est blanc et hétérosexuel », écrit la journaliste et écrivaine Eliane Brum, dans un article publié sur le site El Pais au Brésil titré « Les femmes contre l’oppression ».

Certaines apprécient le personnage, défenseur auto revendiqué de la« famille » et des « valeurs ». Un homme qui cite Dieu à chacune de ses interventions. Et aux manifestations #EleNao ont répondu des mobilisations « Mulheres com Bolsonaro » (les femmes avec Bolsonaro) ou « EleSim » (lui, oui).

Mais beaucoup de femmes ont du mal à accepter le discours phallocrate du candidat. Jair Bolsonaro trouve normal qu’une femme soit moins bien payée qu’un homme du fait de ses congés maternité. Nombre de Brésiliennes s’étranglent aussi de la vulgarité du militaire qui, en 2014, avait lancé à l’encontre de sa consœur députée Maria do Rosario (PT) : « vous ne méritez pas d’être violée. Vous êtes trop laide. » Et d’ajouter, en la voyant choquée : « pleure, allez pleure. »

Donné perdant au second tour

Samedi, la goujaterie de Jair Bolsonaro n’était pourtant pas, et de loin, le seul grief mentionné par la foule. Aux pancartes « Non aux armes » en référence à la volonté du candidat de libérer le port d’armes, s’ajoutaient une multitude de messages contre « le fascisme », et en faveur de la démocratie et des droits LGBT.

« Je suis venu pour défendre ma propre survie ! », explique ainsi Gustavo Reis, 22 ans, étudiant en physique chimie. En tant que Noir et homosexuel, le grand gaillard se sent la cible privilégiée du candidat d’extrême droite. Lors d’un entretien à la revue PlayBoy en 2011, le militaire aurait affirmé qu’il préférerait que « son fils meure dans un accident de voiture, plutôt que de le voir avec un moustachu. Pour moi il serait mort. »

Arborant un tee-shirt mauve où est inscrit « je soutiens les femmes », Oswald Dias, 76 ans, accompagné de son épouse, est, lui, venu par « civisme ». Le vieil homme a connu la dictature et s’affole du comportement du capitaine de l’armée. « Le risque est grand de replonger », soupire-t-il. A l’instar de beaucoup d’électeurs, Oswald reste abasourdi par les propos du candidat du PSL, tenus le 28 septembre, lors d’un entretien pour la chaîne de télévision Band. « A ce que je vois dans la rue, je ne peux accepter un résultat qui n’atteste pas de mon élection », a affirmé, Jair Bolsonaro depuis sa chambre d’hôpital, visiblement incapable d’imaginer un échec.

En tête dans les sondages, Jair Bolsonaro est donné perdant en cas de second tour face à la plupart de ses adversaires. Notamment face à Fernando Haddad, (PT) qui le talonne dans les sondages (22 %). A en croire les analystes, la défaite du capitaine de réserve serait alors en grande partie liée à l’électorat féminin. Selon un sondage Ibope, publié le 26 septembre, 44 % des électeurs ne voteraient « en aucun cas » pour Jair Bolsonaro. Chez les femmes, le taux de rejet atteint 51 %.

Le Monde