Le rôle des États-Unis dans l’opération Lava Jato
Le site de l’ Agencia Publica , à travers son éditeur Natalia Viana, en alliance avec le site The Intercept Brasil, a mené une enquête approfondie dans laquelle ils révèlent le rôle important des États-Unis, à travers son ministère de la Justice (DOJ) et du FBI, avec l’opération Lava Jato , qui est généralement considérée comme la plus grande enquête contre la corruption de l’histoire du Brésil et de l’Amérique latine.
L’opération Lava Jato, rappelons-le, avait pour principaux protagonistes la société de construction brésilienne Odebrecht, la société pétrolière Petrobras, le juge Sergio Moro et l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva. De plus, elle a servi de cadre au limogeage de Dilma Rousseff (2016), à l’emprisonnement de Lula (2018) et enfin, à la victoire électorale de Jair Bolsonaro (2018), actuel président du Brésil et qui a fait de la lutte contre la corruption l’une des ses grands axes de campagne.
Cette recherche a obtenu de nombreuses révélations. Le plus important, sans aucun doute, est que ceux qui ont mené le Lava Jato au Brésil ont, en 2014, pendant la présidence de Dilma, signé un accord illégal de coopération avec le FBI qui a duré jusqu’en 2016. Parce qu’il était illégal, l’accord a été tenu en secret de autorités fédérales. L’accord a permis aux agents du FBI un accès illimité aux données et informations clés de l’enquête judiciaire. Autre fait intéressant: entre les procureurs brésiliens et les agents nord-américains, des conversations ont eu lieu pour partager le montant des amendes infligées à la Petrobras, en guise de punition pour les actes de corruption de la firme.
La semaine dernière, le Parti des travailleurs (PT) a dénoncé l’accord de coopération au sein du parquet brésilien. Les avocats Eugênio Aragão et ngelo Ferraro, du PT, ont souligné que les procureurs de la Lava Jato avaient agi illégalement, en désobéissant au ministère de la Justice, pour promouvoir un procès criminel sélectif contre l’ancien président Lula.
Déjà en juin 2019, le site Intercept Brasil avait publié des conversations privées entre des agents publics ayant participé à l’opération Lava Jato, qui montraient la partialité de l’enquête, dirigée contre le PT et destinée, fondamentalement, à emprisonner Lula.
La journaliste Viana rappelle d’un fait clé pour comprendre la dynamique de ces processus: l’actuel chef de l’Unité internationale de corruption du FBI, Leslie Backshies, a publiquement reconnu la participation de son entité au renversement de gouvernements qui ne se soumettaient pas et qui ont entravé les intérêts américains.
Ci-dessous, nous reproduisons les fragments les plus importants des travaux de recherche de l’ Agencia Publica et de l’Intercept Brasil .
1) Communications précédentes
Depuis au moins 2015 , il y avait déjà des communications entre le ministère de la Justice et Deltan Dallagnol, procureur au ministère public fédéral du Brésil. En février de la même année, par exemple, le procureur général du Brésil, Rodrigo Janot, s’est rendu aux États-Unis, accompagné de Dallagnol et d’autres procureurs pour présenter les enquêtes sur Lava Jato et discuter d’un accord de coopération judiciaire avec ce pays.
2) Liens avec le FBI
George “Ren” McEchern, alors chef de l’Unité de corruption internationale du FBI, a déclaré que le FBI avait commencé “à rechercher des pays qui pourraient inviter leurs agents à analyser les enquêtes pour corruption ayant un lien avec les États-Unis”, en 2014.
Dans ce contexte, en octobre 2015, Dallagnol et ses collègues ont coordonné une visite de procureurs du DOJ et d’agents du FBI. À cet égard, mardi 5 octobre de cette année-là, ’une délégation d’au moins 17 Américains’ s’est rendue dans la capitale du Paraná pour s’entretenir avec des membres du parquet et des avocats d’affaires qui faisaient l’objet d’une enquête au Brésil. Parmi eux se trouvaient des procureurs américains liés au ministère de la Justice (DOJ ) et des agents du FBI (…) Toutes les négociations ont eu lieu au siège du Ministère Public Fédéral à Curitiba.En quatre jours intenses de travail, ils ont reçu des explications détaillées sur des délateurs tels qu’Alberto Youssef et Nestor Cerveró et ont rencontré les avocats de 16 délateurs qui avaient signé des accords entre fin 2014 et mi-2015 en échange d’une assignation à résidence, à la place d’une peine de prison ferme, y compris de laveurs d’argent et d’anciens directeurs de Petrobras.
3) Dissimulation
Le groupe de travail Lava Jato a dissimulé cette visite aux membres du DOJ et du FBI aux autorités gouvernementales.
Le ministère de la Justice a cependant eu connaissance de la visite américaine. En vertu d’un accord bilatéral, les actes de collaboration en matière judiciaire entre le Brésil et les États-Unis (par exemple, pour demander des preuves telles que des relevés bancaires, effectuer des perquisitions et des saisies, interroger des suspects ou des accusés et demander des extraditions) sont généralement faits par demande formelle de collaboration connue comme le MLAT, qui stipule que le ministère de la Justice doit entrer en contact avec le ministère de la Justice des États-Unis. La procédure est établie par l’Accord sur l’entraide judiciaire en matière pénale, un traité bilatéral signé en 1997. En 2015, sous la présidence de Dilma Rousseff (PT). le ministère était dirigé par le ministre José Eduardo Cardozo.
Eduardo Cardozo a déclaré à l’Agencia Publica: “La police fédérale m’a averti qu’il y avait une équipe américaine à Curitiba établissant un dialogue avec les autorités. La police fédérale m’a demandé si nous l’avions autorisé. [Je] n’en avais rien su.” Cardozo a déclaré qu’en consultant le procureur général Rodrigo Janot, celui-ci lui avait assuré qu’il s’agissait “d’une activité à des fins académiques “.
4) Preuves «supplémentaires»
Cependant, des documents obtenus par Intercept Brasil montrent que des agents américains se rendaient à Curitiba pour “recueillir des preuves supplémentaires sur l’affaire Petrobras” et “parler aux avocats de la coopération de leurs clients avec l’enquête en cours aux États-Unis”.
Le 12 mars 2020, Intercept Brasil a publié: « Les dialogues, analysés en association avec l’Agencia Publica, montrent que l’équipe dirigée par l’avocat Deltan Dallagnol a tout fait pour faciliter l’enquête pour les Américains, au point d’avoir violé les traités juridiques internationaux et la loi brésilienne. »
5) Menaces
Après la visite, les procureurs ont suggéré aux États-Unis des moyens de contourner la Cour Suprême Fédérale pour interroger les Brésiliens. Un message de telegram dit: “Nous avons maintenant un moyen de convaincre les entreprises et les gens de révéler des faits: la menace d’informer “les autorités américaines” de la corruption et des crimes internationaux (rires).”
L’avocat Orlando Martello a rédigé un e-mail aux Américains les encourageant à mener des interrogatoires avec des délateurs directement aux États-Unis. Ainsi, ils n’auraient pas à obéir aux restrictions de la loi brésilienne. Martello a également proposé “de faire pression sur eux pour qu’ils se rendent aux États-Unis, en particulier ceux qui n’ont pas de problèmes financiers, en disant que c’est une bonne opportunité”.
6) Le couteau et le fromage dans la main
Par la suite, le procureur général a paru effrayé lorsqu’il a découvert que les Américains interrogeaient déjà des témoins de l’affaire aux États-Unis. A ce stade, Dallagnol lui explique qu’il était trop tard: “Les États-Unis ont le couteau et le fromage dans la main”, dit-il dans un message sur telegram, publié par Intercept Brasil. À ce stade, affirme Dallagnol, il n’y avait plus de retour en arrière: l’enquête américaine était un fait accompli.
7) Accord de collaboration
L’année suivante, les procureurs du DOJ et les agents du FBI sont retournés au Brésil pour interroger les premiers lanceurs d’alerte de Lava Jato. Cette fois, ils sont venus avec un accord de collaboration judiciaire signé (MLAT). À Río de Janeiro, ils ont interrogé Nestor Cerveró et Paulo Roberto Costa pendant 9 heures chacun.
Au cours de cette visite, ils sont également passés par Curitiba, où ils ont interrogé pendant six heures le laveur d’argent Alexandre Youssef.
8) Amende Petrobras
En octobre 2015, des représentants du gouvernement américain ont commencé à dire, lors de réunions privées, qu’ils envisageaient d’imposer une amende de 1,6 milliard de dollars à la Petrobras.
9) Répartir le produit des amendes
Depuis 2015, les procureurs de Lava Jato parlent de partager une amende Petrobras avec les Américains. Par exemple, lors de la deuxième visite des Américains, Dallagnol a semblé ravi: “Hier, nous avons parlé avec eux de l’échange d’actifs (cash) d’amendes liées aux actions contre la Petrobras”, a-t-il déclaré dans un message sur telegram. Il a ajouté: «Et il y a une vision positive sur certaines de ces valeurs. »
Les dialogues divulgués montrent que l’échange d’actifs de la Petrobras a donné le ton à la coopération bilatérale avec le Ministère Américain de la Justice.
Tout au long des négociations internes et bilatérales de collaboration avec le Ministère de la Justice concernant la Petrobras, l’intérêt d’obtenir une partie de l’amende infligée par les États-Unis a toujours été un point déterminant. Fin 2015, par exemple, après l’avancée rapide des négociations directes entre le ministère de la Justice et les lanceurs d’alerte, Dallagnol explique qu’il comptait retarder l’interrogatoire direct des délateurs par les Américains pour avoir de meilleures conditions pour négocier l’échange de titres. “La raison pour laquelle nous nous sommes retenus jusqu’à présent est que nous avons encore des doutes sur la question de savoir si nous allons faciliter les choses pour eux et parce que nous voulions négocier la question de l’échange d’actifs”, a déclaré Dallagnol le 17 décembre.
10) Financement de projets anti-corruption
Dès lors, les procureurs brésiliens ont discuté de la possibilité d’utiliser une partie de ces amendes pour administrer un fonds d’un million de dollars, avec lequel ils soutiendraient des projets de lutte contre la corruption.
Dans le même temps, Dallagnol et Roberson Pozzobom (procureur, également membre de la Lava Jato) ont discuté de l’ouverture d’une entreprise pour opérer dans le même domaine: “Nous allons organiser des conventions et des événements et en obtenir notre part, non?” a écrit Dallagnol à sa femme, par telegram, également publié par Intercept Brasil.
El País Digital | Traduit par Elisabeth Schober, Free LULA – Committee Austria